Les travaux 2008 de confortement et de surveillance des appuis rocheux au pont du Gard

par Michel Lescure

Ingénieur en chef honoraire du ministère de l’Equipement

et du Conseil Général du Gard.

Ce document dresse le bilan de la campagne de travaux 2008 dite de « confortement des appuis rocheux », sous le Pont du Gard et le Pont Pitot, et les replacent dans leur contexte historique. Ce document est une compilation d’éléments épars. Son originalité consiste à aborder les aspects « pathologiques » de l’ouvrage ; aucun rapport « grand public » n’ayant à ce jour traité de ces questions. Il est le fruit d’une compilation de documents en provenance du Conseil Général du Gard, du C.E.T.E. Méditerranée, du S.D.A.P. du Gard et de la D.R.A.C Languedoc Roussillon.

Rappel des principales caractéristiques du Pont du Gard et de son aqueduc.

Construit sur trois étages avec les pierres extraites sur les lieux mêmes dans les carrières romaines environnantes, le pont domine le Gard à près de 49 m de haut sur une longueur de 275 m, longueur réduite à notre époque du fait de la disparition de nombreuses arches du troisième niveau.

C’est le plus haut pont-aqueduc du monde romain. C’est aussi le mieux conservé. Il comprend trois étages :

Étage inférieur : 6 arches, 142,35 m de longueur, 6,36 m d’épaisseur, 21,87 m de hauteur,

Etage moyen : 11 arches, 242,55 m de longueur, 4,56 m d’épaisseur, 19,50 m de hauteur,

Etage supérieur : 35 arches, 275 m de longueur, 3,06 m d’épaisseur, 7,40 m de hauteur,

 

Le pont du Gard, sans le pont Pitot (montage conseil général du Gard)

Le pont du Gard, sans le pont Pitot (montage conseil général du Gard)

Le Pont du Gard, seul, sans le Pont Pitot (photo montage DDE 30)

Le Pont du Gard pèse 50 000 tonnes environ, soit la masse du paquebot France, ce qui démontre une relative légèreté, un travail de la pierre très allégé que l’œil perçoit du premier regard. Sa largeur est très faible par rapport à sa hauteur. Le rapport entre la hauteur et la largeur à la base est de 7,7. Son élancement est donc remarquable pour un ouvrage réalisé essentiellement en grand appareil à sec (blocs posés les uns sur les autres sans ciment ; seule la gravité maintient l’ouvrage par les seules forces de frottement !)

La canalisation en haut du pont du Gard

La canalisation en haut du pont du Gard

L’intérieur de la canalisation hydraulique au troisième étage.
L’ouverture des arches des deux premiers niveaux est identique et les piles des arches du 2e étage sont posées dans l’axe des piles du premier.

L’ouverture des arches n’est pas constante puisqu’elle passe de 24,52 m pour l’arche majeure qui enjambe la rivière « Gard » (ou « Gardon ») dénommée «Grande Arche» , à 19,50 m pour les arches suivantes et enfin 15,50 m pour les plus étroites.

En revanche, l’ouverture des arches du troisième étage est constante de 4,80 m.

Les deux premiers niveaux sont entièrement composés en grand appareil ainsi que les piles du troisième jusqu’au départ des arceaux. Ces blocs de plus de cinquante centimètres d’épaisseur, dépassent parfois les deux mètres de long, ce qui leur confère un poids d’environ six tonnes.

La pierre dite de Vers, utilisée pour la construction du pont, est un calcaire coquillier d’une texture assez grossière et se prêtant très bien à la taille mais d’une faible résistance mécanique, de plus gélive (sensible au gel) et érodable par le vent.

Les piles inférieures sont posées directement sur un massif rocheux de très bonne résistance mécanique (c’est un calcaire urgonien dont la résistance est supérieure à celle de nos meilleurs bétons) mais ce massif est fracturé et karstifié.

L’aqueduc proprement dit est construit en petits moellons. La canalisation fait 1,20 m de largeur et 1,85 m de haut avec des pieds-droits de 0,85 m d’épaisseur. Elle est couverte par des dalles débordantes de 0,35 m d’épaisseur pour 1 m de large et 3,65 m de long.

Un détail important pour l’histoire des techniques est à noter ici. La hauteur interne était à l’origine de 1,30 m environ, mais lors de la mise en eau, celle-ci monta trop haut, déborda de la canalisation et ruissela, au moins à certaines périodes de l’année. Cet incident de fonctionnement obligea les ingénieurs romains à surélever les pieds-droits de la canalisation hydraulique en petits moellons d’une épaisseur en gros appareil de 60 cm bien visible à l’intérieur. De l’extérieur, on décèle très bien la surélévation par la différence dans les maçonneries.

Ce petit détail de construction prouve que les Romains ne maîtrisaient pas complètement les lois de l’hydraulique, mais que grâce à leur empirisme ils résolvaient des situations délicates !

Nous ne pouvons pas vraiment leur reprocher leur manque de connaissances en hydraulique puisqu’il faudra 17 siècles pour les acquérir : nous devons à l’ingénieur français Antoine Chézy, en 1775, une formule qui permet d’estimer la vitesse et donc les débits des canaux à surface libre. Le professeur Michel DESBORDES précise que ce travail remarquable attendra encore un siècle avant d’être publié aux Etats Unis, en 1897, ce qui prouve que la diffusion du savoir et le partage des connaissances ne vont pas forcément de soi !

 II. La date de construction du pont romain

Le Pont du Gard est l’élément monumental d’un aqueduc de près de 50 km de longueur, qui apportait de l’eau de la source de l’Eure, située à Uzès, à proximité de Saint-Quentin-la-Poterie, jusqu’à la ville romaine de Nemausus, aujourd’hui appelée Nîmes.

L’aqueduc proprement dit est un chef d’œuvre d’ingénierie, qui en dit long sur l’extraordinaire maîtrise des topographes romains : la différence de niveau entre l’amont et l’aval n’est que de 12 mètres pour une longueur totale de 50 kilomètres, et l’aqueduc serpente en courbe de niveau à travers les petites montagnes et vallées de l’arrière pays nîmois. L’aqueduc de Nîmes a sans doute été construit au Ier siècle de notre ère, comme en attestent des restes de poteries et tessons intégrés à sa construction.

Les découvertes archéologiques les plus récentes proposent une datation de l’aqueduc (dont fait partie le Pont du Gard) fin de la première moitié du premier siècle, entre 40 et 60 après J.-C.

III. Un fonctionnement hydraulique de cinq siècles et des utilisations diverses

III.1. Un ouvrage hydraulique…

Il est probable que l’aqueduc de Nîmes ait fonctionné pour l’alimentation de Nîmes jusqu’au Ve siècle.

Les dernières études ont permis de retracer l’histoire de cet édifice remarquable :

Construction au milieu du premier siècle de notre ère.

Réglage du fonctionnement durant la deuxième moitié du siècle avec une surélévation de la hauteur de la canalisation de 60 cm sur une longueur de 6 km, 50 ans après la construction.

Puis une longue période de fonctionnement normal qui s’est achevée au troisième siècle.

Enfin, une dernière période plus chaotique où l’aqueduc a fonctionné occasionnellement, avec un débit d’eau fort limité avant d’être définitivement abandonné à la fin du cinquième siècle ou au début du sixième.

III.2. …mais aussi un chemin muletier franchissant le Gardon. Le Pont du Gard a toujours été utilisé comme voie de passage. Ce chapitre de son histoire a été longuement traité par Emile Espérandieu, auteur du premier ouvrage de synthèse sur l’aqueduc de Nîmes, il y a bientôt 100 ans.

Cependant, on peut penser que dès le début, des voyageurs l’empruntèrent pour franchir le Gardon. En 1295, un droit de péage, cédé au seigneur d’Uzès par Philippe Le Bel, était prélevé aux utilisateurs et des droits de péages taxaient davantage le transport des marchandises que les simples voyageurs.

dessin 2 (M.L.)

Sur cette gravure de 1557, Jean Poldo d’Albenas montre que les piles du second rang d’arches ont été largement échancrées afin de permettre le passage du chemin muletier à l’amont.

 

IV. La préservation du géant romain … un souci commun à toutes les générations. Cet ouvrage monumental a passionné les générations successives qui, avec leurs moyens limités, l’ont toujours entretenu et très vraisemblablement l’ont réparé au besoin après chacune des grandes crues.

Nous gardons une trace des réparations des avants becs, suite à la crue phénoménale qui eut lieu en 1403; cette crue « la big one » raya de la carte le village de Massillan situé en rive droite du Gardon, dans le triangle formé par Saint Chaptes, Saint Géniès de Malgoires et La Calmette. Cette crue mit en charge le Pont du Gard jusqu’à un débit jamais atteint, estimé à environ 30% de plus que la crue de 2002 !

Nous avons vu que pour élargir le chemin muletier, nos anciens eurent l’idée saugrenue d’échancrer les piles. C’était très hasardeux en terme de stabilité de l’ouvrage. Ceci fit travailler toute la structure et explique en partie le déversement du deuxième et du troisième étage vers l’amont de la rivière où les échancrures avaient été pratiquées. Ce déversement est de l’ordre de 130 centimètres et compte tenu de l’élancement de l’ouvrage de 7,7 (rapport entre la hauteur et la largeur à la base) aggravé par les phénomènes de dilatation thermique, ce phénomène est préoccupant et justifierait un suivi attentif dans le temps.

imag 10Vue amont où l’on distingue nettement le déversement (ou bombement) de l’ouvrage vers l’amont au niveau du troisième étage.

Fort heureusement, sous Louis XIV et sous l’impulsion de l’ingénieur nîmois Henri GAUTIER, les Etats du Languedoc décident de reconstituer l’ouvrage romain en réparant les piles et en créant des balcons reposant sur les avant becs pour faire passer le chemin muletier. Mais cette solution transitoire, si elle a stabilisé l’ouvrage était un pis aller en matière de liaison routière et il fallut attendre louis XV et le savoir faire d’Henri PITOT d’Aramon pour qu’un pont routier soit accolé en aval du géant romain.

Les travaux de construction du pont Pitot et d’aménagement des voiries de raccordement au chemin royal furent menés de 1743 à 1747.

imag 11Le pont routier de 1747 en aval sur le modèle du pont Royal de Paris, avec des arrière-becs (le pont romain n’en possédait pas).

Un premier travail de restauration de l’aqueduc romain fut entrepris par Pitot pour sécuriser les usagers du pont Pitot dans le seul but de prévenir les chutes des morceaux de pierres romaines !

Il a fallu attendre 1834 pour qu’une restauration générale de l’ouvrage soit entreprise suite à une visite de Prosper Mérimée, directeur général des monuments historiques. Compte tenu des devis aux coûts très élevés, on ne put procéder qu’à de petites réparations de colmatage, entre 1843 et 1845, sous la direction de Charles Questel à qui l’on doit l’escalier en colimaçon de la rive gauche permettant d’accéder au troisième étage pour organiser des visites plus sûres. Également, on lança une recherche sur l’ensemble du tracé de l’aqueduc en 1846, sous la direction de l’ingénieur hydraulicien Léon Dombre.

Néanmoins, l’idée de départ fit doucement son chemin et l’empereur Napoléon III, empruntant cette voie en 1852, tomba, lui aussi, sous le charme de cet édifice et se laissa convaincre de la nécessité d’une restauration totale et complète de ce témoin du génie romain.

De nouveaux travaux furent menés de 1855 à 1857 par Jean-Charles Laisné. Les infiltrations étaient telles que les eaux pluviales avaient rongé les pierres au point que certains voussoirs avaient diminué d’un tiers de leur volume. On s’aperçut que le monument, qui présentait déjà une façade pitoyable, menaçait, en fait, de s’écrouler. Espérandieu écrit : « À la reprise de la neuvième arcade, lorsqu’on mit à découvert les anciens voussoirs cachés par le plâtrage du début du XVIIIe siècle, un tel spectacle s’offrit aux ouvriers qu’ils s’enfuirent épouvantés. Deux voussoirs de la bande du milieu faisaient défaut ; les deux parties de cette bande n’étaient plus reliées que par deux étrésillons dont la destruction prochaine n’eût pas manqué d’entraîner celle de la voûte ».

Les voûtes, leur couverture, les piles, tout fut repris, consolidé ou remplacé. L’ensemble des travaux avait nécessité la mise en place de 2500 m³ de pierre, dont plus de la moitié à une hauteur supérieure à 20 mètres, et avait finalement coûté environ 200 000 francs-or.

A la sortie de la deuxième guerre mondiale en 1949 et avec l’utilisation de scaphandres autonomes, on s’aperçut que le Gardon avait creusé des cavités dans le rocher sous les piles soutenant la grande arche. Avec l’appui des équipes du Génie un mur constitué par des sacs en béton a été installé, à titre conservatoire, dans l’espoir de limiter les érosions et d’obturer les cavités.

Ces dernières années, une importante opération de restauration des parements et des voûtes du pont antique a été conduite en trois tranches, successivement par trois architectes en chef des monuments historiques, de 1989 à 2007, consistant au remplacement d’environ 5% des blocs de pierre en place. Le troisième et le deuxième niveau du pont romain ont été traités en 1989-1996 et en 1998-2002 .La restauration des parties basses (6 arches et 7 piliers), les plus exposées, a été réalisée de 2004 à 2007.

Au total, 5 412 000 euros ont été consacrés à ces travaux conduits sous maîtrise d’ouvrage de l’Etat, auxquels le Département a contribué financièrement à raison de 1 067 000 euros. A titre indicatif, environ 720 m3 de blocs en pierre de Vers ont été déposés et remplacés, posant de nombreux et difficiles problèmes techniques.

En 2002, le Pont du Gard a subi une inondation majeure endommageant le seuil du moulin en aval, mais ne causant aucun dommage à sa structure. Dès avant cet épisode, le lancement d’une étude-diagnostic des appuis immergés avait été décidé par l’Etat et le Département, cofinancée à part égale, la D.R.A.C LR assurant la maîtrise d’ouvrage de l’étude.

Une campagne de plongée pour dégager les arbres déracinés, bloqués dans le goulet sous la grande arche, a confirmé la nécessité de lancer de nouvelles auscultations. L’Etat a demandé au Département d’assurer la maîtrise d’ouvrage de l’opération et suite à une consultation nationale des bureaux spécialisés, il a été décidé de confier les études au C.E.T.E Méditerranée (études et diverses prestations intellectuelles).

Pour mener à bien ce travail pluridisciplinaire, un groupe de travail a été constitué, regroupant l’ensemble des services techniques et administratifs de l’Etat, de la Préfecture et du CG30. Après les crues de 2002, l’évolution du lit de la rivière au droit du goulet a été constatée, notamment le niveau du fond des galets.imag 2

Le C.E.T.E Méditerranée a organisé une campagne complémentaire de reconnaissances géotechniques par sondages carottés à terre et dans le goulet, à proximité des deux piles principales qui encadrent le goulet, les piles VII et VIII de l’ouvrage. Parallèlement, une compilation des données géotechniques d’archives a été effectuée. Ce travail a été poursuivi par des études de stabilité des massifs rocheux d’appuis de ces deux piles.

Le C.E.T.E Méditerranée a conclu qu’il paraissait inapproprié de renforcer le massif rocheux d’appui de la pile VIII (en rive gauche). Par contre, le massif rocheux d’appui de la pile VII, en rive droite, est apparu comme plus menacé du fait de la présence de cavités karstiques notamment et, semble-t-il, plus sollicité par les crues du Gardon. La proposition a été faite de renforcer la partie basse de l’appui rocheux par une nouvelle ligne d’ancrages, en complément des trois lignes d’ancrages déjà mises en place lors du confortement de 1981. Les visites par plongeurs ont noté un net approfondissement du niveau du fond des sédiments suite à la crue de 2002 (la stabilité de l’appui de la pile VII est largement dépendante de la cote de fond).

Afin d’éviter les phénomènes de cavitation et de blocage des corps flottants dans les cavités situées dans la paroi rocheuse, le C.E.T.E Méditerranée a proposé de les obturer en utilisant d’autres techniques que celles utilisées en 1949 (sacs de béton immergés).

Au sujet de la stabilisation des sédiments dans le goulet, deux théories s’opposaient :

l’une visait à bloquer le niveau des sédiments en reconstituant le seuil en aval ou en les fixant dans le goulet,
l’autre proposait au contraire de laisser évoluer naturellement le niveau des sédiments pour atteindre un nouvel équilibre.

Du fait de la méconnaissance de l’épaisseur réelle des sédiments et de la difficulté technique de bloquer le niveau de ces sédiments dans le goulet, il n’a pas été possible de faire un choix définitif entre ces deux théories.

De plus, nous nous sommes aperçus de l’importance de la sollicitation par les embacles et le charriage des troncs d’arbres de l’éperon rocheux situé en amont de la pile VII lors des crues. Il est vraisemblable que des compléments de reconnaissance, d’études et d’expertises seront nécessaires pour arrêter la meilleure solution possible.

V. La campagne de travaux 2007-2008

C’est le dernier programme de travaux de confortement des appuis rocheux du Pont du Gard réalisé; son contenu ayant été finalisé en 2007. Son exécution a commencé début 2008 à la période du petit étiage d’hiver qui débute vers le 15 janvier, en accord avec l’EPCC, gestionnaire du site, afin de ne pas perturber l’exploitation touristique et de terminer vers la fin juin 2008.

Contrairement à un chantier classique, des réflexions spécifiques peu courantes ont été menées. Il faut citer :

  •  la limitation des vibrations engendrées pour l’atelier de forage avec un contrôle par des enregistrements continus,
  • Le coulage de béton immergé,
  • Une instrumentation particulière visant à l’auscultation des déformations de l’appui rocheux à long terme.
  • Maîtrise d’ouvrage : Conseil Général du Gard,
  • Maîtrise d’œuvre : C.E.T.E Méditerranée pour les études de définition et assistance des services du Département pour le contrôle d’exécution des travaux – DGAIF/DMD/SOA + STN,
  • Montant des études de définition, préalables au lancement des travaux 0,123 M€,
  • Dépenses subventionnables par l’Etat 1 675 000 euros (taux exceptionnel de 80%, s’agissant de travaux consécutifs à la crue de 2002. Ces travaux viennent au demeurant compléter les tranches de travaux antérieures, notamment celle de 1981, prise en charge par le Conseil Général),
  • Montant des travaux payés aux entreprises 1 288 566,56 euros (compte tenu des résultats de l’appel d’offres et également sur le fait que la dernière tranche conditionnelle n’a pas été réalisée pour le motif indiqué ci-après),
  • Subvention due par l’Etat 1 030 853,25 euros dont subvention versée 2007 201 000,00,
  • Subvention versée 2008 762 342,47,
  • Solde à verser en 2011 67 510,78
  • Entreprises retenues : Groupement E.M.C.C. + DEMATHIEU et BARD (mandataire),
  • Sous-traitant : FRABELTRA
  • Les travaux réalisés comportaient quatre phases :
  • L’exécution de douze ancrages inclinés destinés à renforcer la partie inférieure de l’appui rocheux de la pile P VII et situés au-dessous des lits d’ancrages de 1981,
  • Les travaux immergés d’obturation et de remplissage des cavités karstiques par du béton au pied du flanc rocheux bordant la pile P VII en rive droite, tout en ménageant les écoulements karstiques,
  • La reprise et la dissimulation des têtes d’ancrages de 1981 situées sur les berges des rives droite et gauche,
  • La pose d’un dispositif permettant l’auscultation du massif rocheux en rive droite et le suivi de l’érosion de la paroi rocheuse.

Une tranche conditionnelle au marché de travaux était prévue, qui devait permettre la prospection géotechnique du fond rocheux afin de déterminer l’épaisseur des sédiments mobiles ; au final cette tranche a été différée suite aux conseils du C.E.T.E Méditerranée.

V.1. Le confortement

Le confortement de l’appui rocheux de la pile VII du pont du Gard consiste en la mise en place de 12 tiges ou inclusions métalliques, scellées dans des forages inclinés à 45°, passant sous la pile et débouchant dans la partie immergée du gardon, au pied du flanc rocheux. Leur direction s’inscrit dans des plans verticaux parallèles au grand axe de l’ouvrage romain. Ces inclusions sont très légèrement mises en tension avant scellement (précontrainte de six tonnes). Elles sont désignées par le terme « tirants d’ancrage ». Le débouché des tirants en rivière est situé à la cote 7,50 NGF.

Forage : Il est réalisé à l’air, au marteau fond de trou en 165 mm en utilisant des tiges de forage de fort diamètre (140 mm) pour minimiser les déviations. Le dispositif est muni d’un amortisseur de vibration.

Les paramètres de forage suivants sont enregistrés en continu :

• Vitesse instantanée,

• Poussée sur l’outil,

• Couple de rotation,

Ces enregistrements renseignent sur l’état de la roche, sa fracturation, la présence de cavités karstiques et leur remplissage par des sédiments.

imag 4En fonction des résultats, nous sommes en capacité de savoir si le rocher est compact et homogène ou en cas de discontinuité si la cavité était vide ou comblée par des sédiments.

Faille vide

Tête aval avec son coussin injecté avant traction

imag 12

Examen endoscopique :

Lorsque les forages sont réalisés, ils sont contrôlés par un examen endoscopique et ultrasonique. Ces données complètent les enregistrements des paramètres de foration.

Constitution et mise en place des barres :

Les tiges d’acier (tirants) sont de forte section (Ø 40 mm), et possèdent une limite de rupture qui se situe autour de 120 tonnes. Avant leur mise en place dans les forages, elles sont recouvertes par une «chaussette» en géogrille -géotextile qui sert ensuite de gaine d’injection pour le coulis afin de garantir de bonnes conditions de scellement au rocher. Cette technique expérimentée en 1981 avait donné satisfaction et avait permis d’assurer la continuité de scellement des barres au rocher en présence des vides importants dans la masse rocheuse que constituent les cavités karstiques en évitant des pertes importantes de coulis, colmatant les cavités.

La mise en précontrainte est légère, elle est limitée à 6 tonnes (60 KN).

Un coulis de ciment spécial a été utilisé pour sceller les barres, mais aussi pour toutes les opérations annexes telles que le cachetage sous l’eau (obturation des trous préalablement à l’injection).

Travaux de finition :

Au terme des injections, les extrémités des barres seront équipées d’un capot de protection rempli de graisse anti-corrosion.

Capot de protection des tirants

une rangée de 12 ancrages 2008

Ancrages de 1981

Alluvions

Mécanismes combinés de glissement basculement

V.2. Le remplissage des cavités

Une grande partie des sacs de béton mis en place en 1949 par les scaphandriers et qui assuraient les fonctions de batardeau et de mur «anti-érosion» a disparu suite aux crues successives. L’abaissement du niveau des sédiments a fait que ce mur-rideau de sac s’est trouvé sous-cavé et fragilisé, puis est resté en partie suspendu à la paroi rocheuse grâce à l’action des tirants de 1981.

L’obturation des trois cavités (deux importantes et une autre mineure) situées sous les sacs restés en surplomb a été effectuée par des plongeurs. Une protection par filet a été installée afin de garantir leur sécurité.

Le principe de remplissage consiste en l’élévation de murs en béton coffré de un mètre d’épaisseur et dont le parement s’inscrit au nu de la paroi rocheuse. Le fond des cavités est laissé libre et des drains ont été mis en place pour assurer la continuité des circulations karstiques. Les coffrages et le bétonnage ont été effectués par tranche de un mètre. La liaison entre le béton et le rocher est assurée grâce à des ancrages en acier.

Le béton employé est composé d’agents de viscosité peu lessivables et d’un ciment rapide «prise mer» afin de limiter les risques d’entraînement des laitances et donc de pollution de la rivière. Le bétonnage est assuré par des pompes avec immersion des manches-conduites souples dans le massif de béton en cours de coulage limitant les dispersions.

La quantité de béton est de 150 m3 environ, pour 40 m2 de coffrages.

im1Drains assurant l’équilibre hydrostatique

Fixation des branches dans la cavité à combler

Coffrages

Dégravement

Tirants 2008 cote 7.50 ngf

Mur de sacs sectionnés

TIRANTS 1981

es derniers sacs en place …en cours de destruction par les différentes crues.

im2V.3. Dissimulation des têtes d’ancrage de 1981.

Les travaux consistent à dissimuler les têtes des ancrages passifs de 1981, les nouvelles têtes amont en rive droite et en rive gauche.

Les parties métalliques sont protégées contre la corrosion et les capots manquants remplacés.

Les massifs sont noyés dans un béton faiblement dosé recouvert par un béton projeté armé, ancré au rocher et de couleur la plus proche possible des rochers de ce site.

Photos avant intervention :

Nouvelles têtes encastrées de 2008

Têtes 1981

V4. Une instrumentation particulière

Les deux barres munies d’extensomètres.

Comme nous ne savions pas comment se comporte le rocher quand il est immergé lors des grandes crues, (il est vraisemblable qu’il vibre et qu’une partie des vibrations est transmise à l’ouvrage romain dont on connaît la sensibilité à ces phénomènes), le C.E.T.E Méditerranée a proposé d’équiper le massif de deux dispositifs de mesure et de surveillance. Ci-dessous la photo d’un dispositif composé de quatre cellules placé entre les forages de 1981. Les câbles sont ramenés dans une boîte étanche encastrée dans le massif bétonné et raccordés à une centrale d’acquisition qui enregistrera des fréquences qui seront converties en contraintes, négatives ou positives en fonction de l’éventuel déplacement entre deux blocs du massif rocheux. Un autre dispositif identique a été installé à proximité de la ligne de tirants plus profonds de 2008.

Ce dispositif est expérimental ; il nécessitera un suivi particulier et une interprétation des résultats, notamment le suivi de l’évolution des parois rocheuses verticales grâce à un réseau de « témoins » d’usure dont la paroi est désormais équipée (une simple mesure de la profondeur de ces petits forages calibrés permet de suivre l’évolution de l’usure de cette paroi rocheuse).

Il restera à suivre l’évolution du plancher rocheux du goulet.

VI. Les suivis ultérieurs

Le pont du Gard doit continuer à faire l’objet d’un suivi attentif sur trois points :

Le suivi du déversement de l’ouvrage : il est contrôlé par géo-triangulation, sous la responsabilité opérationnelle de la D.R.A.C. Il n’y aurait pas d’évolution significative, mais ceci reste à confirmer,

La liaison entre les deux ponts (romain et Pitot) au niveau de l’étanchéité de l’ouvrage entre le Pont Pitot pour collecter les eaux en provenance de l’ouvrage romain, mérite une attention particulière. En effet, à chaque pluie, nous constatons que de l’eau circule entre les deux ponts simplement accolés.

Après la fin des travaux de la campagne 2008, il restera à surveiller les appuis rocheux, le niveau du fond des sédiments et l’usure des parois rocheuses grâce aux témoins d’usure. Périodiquement et jusqu’en 2002 les appuis ont été contrôlés par des plongeurs spécialisés et après chaque grande crue sous l’égide de la D.D.E 30 et en collaboration avec le C.E.T.E Méditerranée.

Aujourd’hui, après la campagne de travaux 2008, c’est l’occasion :

De redéfinir la périodicité du suivi des appuis immergés (qui a été fixée à 3 ans) et de les confier en alternance au CG 30, propriétaire du Pont Pitot et à l’Etat, propriétaire du pont romain, en coordonnant les diverses interventions des suivis et des échanges d’informations,

Pour les maîtres d’ouvrage, de se coordonner et de poursuivre (éventuellement et au besoin) la campagne de travaux de 2008 par des prospections nouvelles dont le programme reste encore à préciser.

La réunion technique du 13 octobre 2010, qui regroupait la Direction Régionale des Affaires Culturelles Languedoc-Roussillon, le Service Départemental de l’Architecture et du Patrimoine du Gard et la Direction Générale adjointe des Déplacements, Infrastructures et Foncier du Conseil Général du Gard, a permis de préciser la nature de ces suivis et de balayer l’ensemble des programmes connexes (exemple : sécurité des piétons avec l’Etablissement Public de Coopération Culturelle du Pont du Gard).

Il est à noter que suite aux inondations de 2002, le Conseil Général du Gard a achevé dès 2012 la totalité de son programme d’investissement global y compris pour le pont Pitot, soit moins de 9 ans après ces terribles inondations.

Conclusion provisoire

Au final, et à titre de conclusion provisoire, l’ensemble de ces suivis et les éventuelles nouvelles prospections tant au niveau des sédiments que du substratum rocheux devraient permettre de vérifier si les travaux réalisés dans les années 1981 et ceux de 2008 sont suffisants pour assurer la pérennité du pont du Gard (et également celle du Pont Pitot), ou si d’autres prospections sont nécessaires, nous pensons :

A la stabilisation des alluvions dans le goulet,

A l’éventuelle reconstruction du seuil à l’aval détruit par la crue de 2002,

La création d’un bouclier de protection de l’éperon rocheux à l’amont,

Ou toute autre intervention qui pourrait s’avérer nécessaire à la lumière de ces investigations.

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Le pont du Gard, sans le pont Pitot (montage conseil général du Gard)

La pierre dite de Vers, utilisée pour la construction du pont, est un calcaire coquillier d’une texture assez grossière et se prêtant très bien à la taille mais d’une faible résistance mécanique, de plus gélive (sensible au gel) et érodable par le vent.

Les piles inférieures sont posées directement sur un massif rocheux de très bonne résistance mécanique (c’est un calcaire urgonien dont la résistance est supérieure à celle de nos meilleurs bétons) mais ce massif est fracturé et karstifié.

L’aqueduc proprement dit est construit en petits moellons. La canalisation fait 1,20 m de largeur et 1,85 m de haut avec des pieds-droits de 0,85 m d’épaisseur. Elle est couverte par des dalles débordantes de 0,35 m d’épaisseur pour 1 m de large et 3,65 m de long.

Un détail important pour l’histoire des techniques est à noter ici. La hauteur interne était à l’origine de 1,30 m environ, mais lors de la mise en eau, celle-ci monta trop haut, déborda de la canalisation et ruissela, au moins à certaines périodes de l’année. Cet incident de fonctionnement obligea les ingénieurs romains à surélever les pieds-droits de la canalisation hydraulique en petits moellons d’une épaisseur en gros appareil de 60 cm bien visible à l’intérieur. De l’extérieur, on décèle très bien la surélévation par la différence dans les maçonneries.

Ce petit détail de construction prouve que les Romains ne maîtrisaient pas complètement les lois de l’hydraulique, mais que grâce à leur empirisme ils résolvaient des situations délicates !

Nous ne pouvons pas vraiment leur reprocher leur manque de connaissances en hydraulique puisqu’il faudra 17 siècles pour les acquérir : nous devons à l’ingénieur français Antoine Chézy, en 1775, une formule qui permet d’estimer la vitesse et donc les débits des canaux à surface libre. Le professeur Michel DESBORDES précise que ce travail remarquable attendra encore un siècle avant d’être publié aux Etats Unis, en 1897, ce qui prouve que la diffusion du savoir et le partage des connaissances ne vont pas forcément de soi !

II. La date de construction du pont romain

Le Pont du Gard est l’élément monumental d’un aqueduc de près de 50 km de longueur, qui apportait de l’eau de la source de l’Eure, située à Uzès, à proximité de Saint-Quentin-la-Poterie, jusqu’à la ville romaine de Nemausus, aujourd’hui appelée Nîmes.

L’aqueduc proprement dit est un chef d’œuvre d’ingénierie, qui en dit long sur l’extraordinaire maîtrise des topographes romains : la différence de niveau entre l’amont et l’aval n’est que de 12 mètres pour une longueur totale de 50 kilomètres, et l’aqueduc serpente en courbe de niveau à travers les petites montagnes et vallées de l’arrière pays nîmois. L’aqueduc de Nîmes a sans doute été construit au Ier siècle de notre ère, comme en attestent des restes de poteries et tessons intégrés à sa construction.

Les découvertes archéologiques les plus récentes proposent une datation de l’aqueduc (dont fait partie le Pont du Gard) fin de la première moitié du premier siècle, entre 40 et 60 après J.-C.

III. Un fonctionnement hydraulique de cinq siècles et des utilisations diverses

III.1. Un ouvrage hydraulique…

Il est probable que l’aqueduc de Nîmes ait fonctionné pour l’alimentation de Nîmes jusqu’au Ve siècle.

Les dernières études ont permis de retracer l’histoire de cet édifice remarquable :

Construction au milieu du premier siècle de notre ère.

Réglage du fonctionnement durant la deuxième moitié du siècle avec une surélévation de la hauteur de la canalisation de 60 cm sur une longueur de 6 km, 50 ans après la construction.

Puis une longue période de fonctionnement normal qui s’est achevée au troisième siècle.

Enfin, une dernière période plus chaotique où l’aqueduc a fonctionné occasionnellement, avec un débit d’eau fort limité avant d’être définitivement abandonné à la fin du cinquième siècle ou au début du sixième.III.2. …mais aussi un chemin muletier franchissant le GardonLe Pont du Gard a toujours été utilisé comme voie de passage. Ce chapitre de son histoire a été longuement traité par Emile Espérandieu, auteur du premier ouvrage de synthèse sur l’aqueduc de Nîmes, il y a bientôt 100 ans.

Cependant, on peut penser que dès le début, des voyageurs l’empruntèrent pour franchir le Gardon. En 1295, un droit de péage, cédé au seigneur d’Uzès par Philippe Le Bel, était prélevé aux utilisateurs et des droits de péages taxaient davantage le transport des marchandises que les simples voyageurs.

Sur cette gravure de 1557, Jean Poldo d’Albenas montre que les piles du second rang d’arches ont été largement échancrées afin de permettre le passage du chemin muletier à l’amont.

IV. La préservation du géant romain … un souci commun à toutes les générationsCet ouvrage monumental a passionné les générations successives qui, avec leurs moyens limités, l’ont toujours entretenu et très vraisemblablement l’ont réparé au besoin après chacune des grandes crues.

Nous gardons une trace des réparations des avants becs, suite à la crue phénoménale qui eut lieu en 1403; cette crue « la big one » raya de la carte le village de Massillan situé en rive droite du Gardon, dans le triangle formé par Saint Chaptes, Saint Géniès de Malgoires et La Calmette. Cette crue mit en charge le Pont du Gard jusqu’à un débit jamais atteint, estimé à environ 30% de plus que la crue de 2002 !

Nous avons vu que pour élargir le chemin muletier, nos anciens eurent l’idée saugrenue d’échancrer les piles. C’était très hasardeux en terme de stabilité de l’ouvrage. Ceci fit travailler toute la structure et explique en partie le déversement du deuxième et du troisième étage vers l’amont de la rivière où les échancrures avaient été pratiquées. Ce déversement est de l’ordre de 130 centimètres et compte tenu de l’élancement de l’ouvrage de 7,7 (rapport entre la hauteur et la largeur à la base) aggravé par les phénomènes de dilation thermique, ce phénomène est préoccupant et justifierait un suivi attentif dans le temps.

Vue amont où l’on distingue nettement le déversement (ou bombement) de l’ouvrage vers l’amont au niveau du troisième étage.

Fort heureusement, sous Louis XIV et sous l’impulsion de l’ingénieur nîmois Henri GAUTIER, les Etats du Languedoc décident de reconstituer l’ouvrage romain en réparant les piles et en créant des balcons reposant sur les avant becs pour faire passer le chemin muletier. Mais cette solution transitoire, si elle a stabilisé l’ouvrage était un pis aller en matière de liaison routière et il fallut attendre louis XV et le savoir faire d’Henri PITOT d’Aramon pour qu’un pont routier soit accolé en aval du géant romain.

Les travaux de construction du pont Pitot et d’aménagement des voiries de raccordement au chemin royal furent menés de 1743 à 1747.

Le pont routier de 1747 en aval sur le modèle du pont Royal de Paris, avec des arrière-becs (le pont romain n’en possédait pas).

Un premier travail de restauration de l’aqueduc romain fut entrepris par Pitot pour sécuriser les usagers du pont Pitot dans le seul but de prévenir les chutes des morceaux de pierres romaines !

Il a fallu attendre 1834 pour qu’une restauration générale de l’ouvrage soit entreprise suite à une visite de Prosper Mérimée, directeur général des monuments historiques. Compte tenu des devis aux coûts très élevés, on ne put procéder qu’à de petites réparations de colmatage, entre 1843 et 1845, sous la direction de Charles Questel à qui l’on doit l’escalier en colimaçon de la rive gauche permettant d’accéder au troisième étage pour organiser des visites plus sûres. Également, on lança une recherche sur l’ensemble du tracé de l’aqueduc en 1846, sous la direction de l’ingénieur hydraulicien Léon Dombre.

Néanmoins, l’idée de départ fit doucement son chemin et l’empereur Napoléon III, empruntant cette voie en 1852, tomba, lui aussi, sous le charme de cet édifice et se laissa convaincre de la nécessité d’une restauration totale et complète de ce témoin du génie romain.

De nouveaux travaux furent menés de 1855 à 1857 par Jean-Charles Laisné. Les infiltrations étaient telles que les eaux pluviales avaient rongé les pierres au point que certains voussoirs avaient diminué d’un tiers de leur volume. On s’aperçut que le monument, qui présentait déjà une façade pitoyable, menaçait, en fait, de s’écrouler. Espérandieu écrit : « À la reprise de la neuvième arcade, lorsqu’on mit à découvert les anciens voussoirs cachés par le plâtrage du début du XVIIIe siècle, un tel spectacle s’offrit aux ouvriers qu’ils s’enfuirent épouvantés. Deux voussoirs de la bande du milieu faisaient défaut ; les deux parties de cette bande n’étaient plus reliées que par deux étrésillons dont la destruction prochaine n’eût pas manqué d’entraîner celle de la voûte ».

Les voûtes, leur couverture, les piles, tout fut repris, consolidé ou remplacé. L’ensemble des travaux avait nécessité la mise en place de 2500 m³ de pierre, dont plus de la moitié à une hauteur supérieure à 20 mètres, et avait finalement coûté environ 200 000 Francs-or.

A la sortie de la deuxième guerre mondiale en 1949 et avec l’utilisation de scaphandres autonomes, on s’aperçut que le Gardon avait creusé des cavités dans le rocher sous les piles soutenant la grande arche. Avec l’appui des équipes du Génie un mur constitué par des sacs en béton a été installé, à titre conservatoire, dans l’espoir de limiter les érosions et d’obturer les cavités.

Ces dernières années, une importante opération de restauration des parements et des voûtes du pont antique a été conduite en trois tranches, successivement par trois architectes en chef des monuments historiques, de 1989 à 2007, consistant au remplacement d’environ 5% des blocs de pierre en place. Le troisième et le deuxième niveau du pont romain ont été traités en 1989-1996 et en 1998-2002 .La restauration des parties basses (6 arches et 7 piliers), les plus exposées, a été réalisée de 2004 à 2007.

Au total, 5 412 000 euros ont été consacrés à ces travaux conduits sous maîtrise d’ouvrage de l’Etat, auxquels le Département a contribué financièrement à raison de 1 067 000 euros. A titre indicatif, environ 720 m3 de blocs en pierre de Vers ont été déposés et remplacés, posant de nombreux et difficiles problèmes techniques.

En 2002, le Pont du Gard a subi une inondation majeure endommageant le seuil du moulin en aval, mais ne causant aucun dommage à sa structure. Dès avant cet épisode, le lancement d’une étude-diagnostic des appuis immergés avait été décidé par l’Etat et le Département, cofinancée à part égale, la D.R.A.C LR assurant la maîtrise d’ouvrage de l’étude.

Une campagne de plongée pour dégager les arbres déracinés, bloqués dans le goulet sous la grande arche, a confirmé la nécessité de lancer de nouvelles auscultations. L’Etat a demandé au Département d’assurer la maîtrise d’ouvrage de l’opération et suite à une consultation nationale des bureaux spécialisés, il a été décidé de confier les études au C.E.T.E Méditerranée (études et diverses prestations intellectuelles).

Pour mener à bien ce travail pluridisciplinaire, un groupe de travail a été constitué, regroupant l’ensemble des services techniques et administratifs de l’Etat, de la Préfecture et du CG30. Après les crues de 2002, l’évolution du lit de la rivière au droit du goulet a été constatée, notamment le niveau du fond des galets.

Le C.E.T.E Méditerranée a organisé une campagne complémentaire de reconnaissances géotechniques par sondages carottés à terre et dans le goulet, à proximité des deux piles principales qui encadrent le goulet, les piles VII et VIII de l’ouvrage. Parallèlement, une compilation des données géotechniques d’archives a été effectuée. Ce travail a été poursuivi par des études de stabilité des massifs rocheux d’appuis de ces deux piles.

Le C.E.T.E Méditerranée a conclu qu’il paraissait inapproprié de renforcer le massif rocheux d’appui de la pile VIII (en rive gauche). Par contre, le massif rocheux d’appui de la pile VII, en rive droite, est apparu comme plus menacé du fait de la présence de cavités karstiques notamment et, semble-t-il, plus sollicité par les crues du Gardon. La proposition a été faite de renforcer la partie basse de l’appui rocheux par une nouvelle ligne d’ancrages, en complément des trois lignes d’ancrages déjà mises en place lors du confortement de 1981. Les visites par plongeurs ont noté un net approfondissement du niveau du fond des sédiments suite à la crue de 2002 (la stabilité de l’appui de la pile VII est largement dépendante de la cote de fond).

Afin d’éviter les phénomènes de cavitation et de blocage des corps flottants dans les cavités situées dans la paroi rocheuse, le C.E.T.E Méditerranée a proposé de les obturer en utilisant d’autres techniques que celles utilisées en 1949 (sacs de béton immergés).

Au sujet de la stabilisation des sédiments dans le goulet, deux théories s’opposaient :

l’une visait à bloquer le niveau des sédiments en reconstituant le seuil en aval ou en les fixant dans le goulet,

l’autre proposait au contraire de laisser évoluer naturellement le niveau des sédiments pour atteindre un nouvel équilibre.

Du fait de la méconnaissance de l’épaisseur réelle des sédiments et de la difficulté technique de bloquer le niveau de ces sédiments dans le goulet, il n’a pas été possible de faire un choix définitif entre ces deux théories.

De plus, nous nous sommes aperçus de l’importance de la sollicitation par les embacles et le charriage des troncs d’arbres de l’éperon rocheux situé en amont de la pile VII lors des crues. Il est vraisemblable que des compléments de reconnaissance, d’études et d’expertises seront nécessaires pour arrêter la meilleure solution possible.

V. La campagne de travaux 2007-2008

C’est le dernier programme de travaux de confortement des appuis rocheux du Pont du Gard réalisé; son contenu ayant été finalisé en 2007. Son exécution a commencé début 2008 à la période du petit étiage d’hiver qui débute vers le 15 janvier, en accord avec l’EPCC, gestionnaire du site, afin de ne pas perturber l’exploitation touristique et de terminer vers la fin juin 2008.

Contrairement à un chantier classique, des réflexions spécifiques peu courantes ont été menées. Il faut citer :

la limitation des vibrations engendrées pour l’atelier de forage avec un contrôle par des enregistrements continus,

Le coulage de béton immergé,

Une instrumentation particulière visant à l’auscultation des déformations de l’appui rocheux à long terme.

Maîtrise d’ouvrage : Conseil Général du Gard.

Maîtrise d’œuvre : C.E.T.E Méditerranée pour les études de définition et assistance des services du Département pour le contrôle d’exécution des travaux – DGAIF/DMD/SOA + STN,

Montant des études de définition, préalables au lancement des travaux 0,123 M€,

Dépenses subventionnables par l’Etat 1 675 000 euros (taux exceptionnel de 80%, s’agissant de travaux consécutifs à la crue de 2002. Ces travaux viennent au demeurant compléter les tranches de travaux antérieures, notamment celle de 1981, prise en charge par le Conseil Général),

Montant des travaux payés aux entreprises 1 288 566,56 euros (compte tenu des résultats de l’appel d’offres et également sur le fait que la dernière tranche conditionnelle n’a pas été réalisée pour le motif indiqué ci-après),

Subvention due par l’Etat 1 030 853,25 euros dont subvention versée 2007 201 000,00,

Subvention versée 2008 762 342,47,

Solde à verser en 2011 67 510,78

 

Entreprises retenues : Groupement E.M.C.C. + DEMATHIEU et BARD (mandataire),

Sous-traitant : FRABELTRA

Les travaux réalisés comportaient quatre phases :

l’exécution de douze ancrages inclinés destinés à renforcer la partie inférieure de l’appui rocheux de la pile P VII et situés au-dessous des lits d’ancrages de 1981,

Les travaux immergés d’obturation et de remplissage des cavités karstiques par du béton au pied du flanc rocheux bordant la pile P VII en rive droite, tout en ménageant les écoulements karstiques,

La reprise et la dissimulation des têtes d’ancrages de 1981 situées sur les berges des rives droite et gauche,

La pose d’un dispositif permettant l’auscultation du massif rocheux en rive droite et le suivi de l’érosion de la paroi rocheuse.

Une tranche conditionnelle au marché de travaux était prévue, qui devait permettre la prospection géotechnique du fond rocheux afin de déterminer l’épaisseur des sédiments mobiles ; au final cette tranche a été différée suite aux conseils du C.E.T.E Méditerranée.

V.1. Le confortement

Le confortement de l’appui rocheux de la pile VII du pont du Gard consiste en la mise en place de 12 tiges ou inclusions métalliques, scellées dans des forages inclinés à 45°, passant sous la pile et débouchant dans la partie immergée du gardon, au pied du flanc rocheux. Leur direction s’inscrit dans des plans verticaux parallèles au grand axe de l’ouvrage romain. Ces inclusions sont très légèrement mises en tension avant scellement (précontrainte de six tonnes). Elles sont désignées par le terme « tirants d’ancrage ». Le débouché des tirants en rivière est situé à la cote 7,50 NGF.

Forage : Il est réalisé à l’air, au marteau fond de trou en 165 mm en utilisant des tiges de forage de fort diamètre (140 mm) pour minimiser les déviations. Le dispositif est muni d’un amortisseur de vibration.

Les paramètres de forage suivants sont enregistrés en continu :

• Vitesse instantanée,

• Poussée sur l’outil,

• Couple de rotation,

Ces enregistrements renseignent sur l’état de la roche, sa fracturation, la présence de cavités karstiques et leur remplissage par des sédiments.

En fonction des résultats, nous sommes en capacité de savoir si le rocher est compact et homogène ou en cas de discontinuité si la cavité était vide ou comblée par des sédiments.

Faille vide

Tête aval avec son coussin injecté avant traction

Examen endoscopique :

Lorsque les forages sont réalisés, ils sont contrôlés par un examen endoscopique et ultrasonique. Ces données complètent les enregistrements des paramètres de foration.

Constitution et mise en place des barres :

Les tiges d’acier (tirants) sont de forte section (Ø 40 mm), et possèdent une limite de rupture qui se situe autour de 120 tonnes. Avant leur mise en place dans les forages, elles sont recouvertes par une «chaussette» en géogrille -géotextile qui sert ensuite de gaine d’injection pour le coulis afin de garantir de bonnes conditions de scellement au rocher. Cette technique expérimentée en 1981 avait donné satisfaction et avait permis d’assurer la continuité de scellement des barres au rocher en présence des vides importants dans la masse rocheuse que constituent les cavités karstiques en évitant des pertes importantes de coulis, colmatant les cavités.

La mise en précontrainte est légère, elle est limitée à 6 tonnes (60 KN).

Un coulis de ciment spécial a été utilisé pour sceller les barres, mais aussi pour toutes les opérations annexes telles que le cachetage sous l’eau (obturation des trous préalablement à l’injection).

Travaux de finition :

Au terme des injections, les extrémités des barres seront équipées d’un capot de protection rempli de graisse anti-corrosion.

Capot de protection des tirants

Une rangée de 12 ancrages 2008

Ancrages de 1981

Alluvions

Mécanismes combinés de glissement basculement

V.2. Le remplissage des cavités

Une grande partie des sacs de béton mis en place en 1949 par les scaphandriers et qui assuraient les fonctions de batardeau et de mur «anti-érosion» a disparu suite aux crues successives. L’abaissement du niveau des sédiments a fait que ce mur-rideau de sac s’est trouvé sous-cavé et fragilisé, puis est resté en partie suspendu à la paroi rocheuse grâce à l’action des tirants de 1981.

 

L’obturation des trois cavités (deux importantes et une autre mineure) situées sous les sacs restés en surplomb a été effectuée par des plongeurs. Une protection par filet a été installée afin de garantir leur sécurité.

Le principe de remplissage consiste en l’élévation de murs en béton coffré de un mètre d’épaisseur et dont le parement s’inscrit au nu de la paroi rocheuse. Le fond des cavités est laissé libre et des drains ont été mis en place pour assurer la continuité des circulations karstiques. Les coffrages et le bétonnage ont été effectués par tranche de un mètre. La liaison entre le béton et le rocher est assurée grâce à des ancrages en acier.

Le béton employé est composé d’agents de viscosité peu lessivables et d’un ciment rapide «prise mer» afin de limiter les risques d’entraînement des laitances et donc de pollution de la rivière. Le bétonnage est assuré par des pompes avec immersion des manches-conduites souples dans le massif de béton en cours de coulage limitant les dispersions.

La quantité de béton est de 150 m3 environ, pour 40 m2 de coffrages.

Drains assurant l’équilibre hydrostatique

Fixation des branches dans la cavité à combler

Coffrages

Dégravement

Tirants 2008 cote 7.50 ngf

Mur de sacs sectionnés

TIRANTS 1981

Les derniers sacs en place …en cours de destruction par les différentes crues

V.3. Dissimulation des têtes d’ancrage de 1981

Les travaux consistent à dissimuler les têtes des ancrages passifs de 1981, les nouvelles têtes amont en rive droite et en rive gauche.

Les parties métalliques sont protégées contre la corrosion et les capots manquants remplacés.

Les massifs sont noyés dans un béton faiblement dosé recouvert par un béton projeté armé, ancré au rocher et de couleur la plus proche possible des rochers de ce site.

Photos avant intervention :

Nouvelles têtes encastrées de 2008

Têtes 1981

V4. Une instrumentation particulière

Les deux barres munies d’extensomètres.

Comme nous ne savions pas comment se comporte le rocher quand il est immergé lors des grandes crues, (il est vraisemblable qu’il vibre et qu’une partie des vibrations est transmise à l’ouvrage romain dont on connaît la sensibilité à ces phénomènes), le C.E.T.E Méditerranée a proposé d’équiper le massif de deux dispositifs de mesure et de surveillance. Ci-dessous la photo d’un dispositif composé de quatre cellules placé entre les forages de 1981. Les câbles sont ramenés dans une boîte étanche encastrée dans le massif bétonné et raccordés à une centrale d’acquisition qui enregistrera des fréquences qui seront converties en contraintes, négatives ou positives en fonction de l’éventuel déplacement entre deux blocs du massif rocheux. Un autre dispositif identique a été installé à proximité de la ligne de tirants plus profonds de 2008.

Ce dispositif est expérimental ; il nécessitera un suivi particulier et une interprétation des résultats, notamment le suivi de l’évolution des parois rocheuses verticales grâce à un réseau de « témoins » d’usure dont la paroi est désormais équipée (une simple mesure de la profondeur de ces petits forages calibrés permet de suivre l’évolution de l’usure de cette paroi rocheuse).

Il restera à suivre l’évolution du plancher rocheux du goulet.

VI. Les suivis ultérieurs

Le pont du Gard doit continuer à faire l’objet d’un suivi attentif sur trois points :

Le suivi du déversement de l’ouvrage : il est contrôlé par géo-triangulation, sous la responsabilité opérationnelle de la D.R.A.C. Il n’y aurait pas d’évolution significative, mais ceci reste à confirmer,

La liaison entre les deux ponts (romain et Pitot) au niveau de l’étanchéité de l’ouvrage entre le Pont Pitot pour collecter les eaux en provenance de l’ouvrage romain, mérite une attention particulière. En effet, à chaque pluie, nous constatons que de l’eau circule entre les deux ponts simplement accolés.

Après la fin des travaux de la campagne 2008, il restera à surveiller les appuis rocheux, le niveau du fond des sédiments et l’usure des parois rocheuses grâce aux témoins d’usure. Périodiquement et jusqu’en 2002 les appuis ont été contrôlés par des plongeurs spécialisés et après chaque grande crue sous l’égide de la D.D.E 30 et en collaboration avec le C.E.T.E Méditerranée.

Aujourd’hui, après la campagne de travaux 2008, c’est l’occasion :

De redéfinir la périodicité du suivi des appuis immergés (qui a été fixée à 3 ans) et de les confier en alternance au CG 30, propriétaire du Pont Pitot et à l’Etat, propriétaire du pont romain, en coordonnant les diverses interventions des suivis et des échanges d’informations,

Pour les maîtres d’ouvrage, de se coordonner et de poursuivre (éventuellement et au besoin) la campagne de travaux de 2008 par des prospections nouvelles dont le programme reste encore à préciser.

La réunion technique du 13 octobre 2010, qui regroupait la Direction Régionale des Affaires Culturelles Languedoc-Roussillon, le Service Départemental de l’Architecture et du Patrimoine du Gard et la Direction Générale adjointe des Déplacements, Infrastructures et Foncier du Conseil Général du Gard, a permis de préciser la nature de ces suivis et de balayer l’ensemble des programmes connexes (exemple : sécurité des piétons avec l’Etablissement Public de Coopération Culturelle du Pont du Gard).

Il est à noter que suite aux inondations de 2002, le Conseil Général du Gard a achevé dès 2012 la totalité de son programme d’investissement global y compris pour le pont Pitot, soit moins de 9 ans après ces terribles inondations.

Conclusion provisoire

Au final, et à titre de conclusion provisoire, l’ensemble de ces suivis et les éventuelles nouvelles prospections tant au niveau des sédiments que du substratum rocheux devraient permettre de vérifier si les travaux réalisés dans les années 1981 et ceux de 2008 sont suffisants pour assurer la pérennité du pont du Gard (et également celle du Pont Pitot), ou si d’autres prospections sont nécessaires, nous pensons :

A la stabilisation des alluvions dans le goulet,

A l’éventuelle reconstruction du seuil à l’aval détruit par la crue de 2002,

La création d’un bouclier de protection de l’éperon rocheux à l’amont,

im3Ou toute autre intervention qui pourrait s’avérer nécessaire à la lumière de ces investigations.

 

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