Il était autrefois, avant le pont du Gard
Texte de la conférence présentée par l’Académie Pont du Gard au cours de la Journée d’Histoire et d’Archéologie du Gard, organisée le samedi 14 octobre 2017 par la FAHG, à Moussac (Gard)
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Il était autrefois … avant le pont du Gard.
Dans l’article qu’elle publiait le 10 août 2010, Corinne Bensimon, journaliste au journal LIBERATION réussit en quelques mots à traduire l’émerveillement que ressentent la plupart des visiteurs- habituels ou occasionnels – qui se rendent au pont du Gard, vertigineuse dentelle de pierre.
Après l’émerveillement, viennent les questions : Pourquoi et comment nos ancêtres ont-ils construit cet ouvrage, avec quels moyens, en quelles circonstances ? Autrement dit, qu’en était-il autrefois, avant que ne fut construit, le pont du Gard ?
De manière à présenter cet exposé, en un temps réduit, à un auditoire déjà fort instruit sur le sujet, je m’étendrai davantage sur le pont du Gard dans son environnement.
Qu’entent-t-on par aqueduc ?
C’est un conducteur d’eau, un « porto aigo » comme disent les Provençaux. Il s’agit, pour les archéologues, d’une construction en dur, le plus souvent en pleine nature, qui occupait des centaines d’ouvriers et d’ingénieurs. Construction fort onéreuse qui devra résister aux affres d’un climat excessif, aux variations de températures extrêmes, aux agressions naturelles inévitables dont la taffonisation (agressions des éléments naturels courants), aux crues, au vieillissement inexorable. Il subira aussi la malveillance des hommes et le piratage sous des formes diverses. Mais un aqueduc, ça vaut la peine, aussi bien pour les utilisateurs que pour les politiques à la recherche de bons projets capables d’améliorer le confort des populations.
Dans l’antiquité, les aqueducs tout comme les amphithéâtres, étaient l’emblème de la réussite.
L‘eau au robinet, un élément de confort
Lorsque l’homme était chasseur-cueilleur-prédateur, il se déplaçait au gré des saisons à la poursuite du gibier qui, comme lui, se nourrissait de baies, de fruits, de petit gibier, de poisson en des lieux où il faisait meilleur vivre. Puis à partir du Néolithique, vers 5000 ans avant notre ère, il devint cultivateur-éleveur-sédentaire et gestionnaire. Situation inédite car responsable de son domaine et de son cheptel, il aura besoin d’eau, de beaucoup d’eau, chaque jour, pendant toute l’année. Et, ironie de la nature, il devra selon les circonstances, parfois s’en protéger parfois la stocker ; puis apprendre à l’économiser, la transporter, la gérer.
Les progrès étaient lents, la communication quasiment inexistante, nos antépontdugardois avaient beaucoup de retard sur leurs congénères sumériens, grecs, étrusques et romains à la recherche de débouchés commerciaux vers l’occident. Mais avec le temps, les aqueducs atteignirent nos contrées. Des canalisations, les plus larges possible pour les rendre efficaces- de grande section, 16 pieds-carrés[i] pour celle de l’aqueduc de Nîmes.
Le contexte local
Avant la colonisation romaine, le triangle Nîmes, Beaucaire, Arles délimitait un domaine où convergeaient de grandes voies naturelles plaquées sur un schéma géographique, maritime et fluvial, de l’est vers l’ouest, de l’Italie vers l’Espagne, du nord vers le sud. Voies antiques qui devinrent la voie Aurélienne le long de la Méditerranée, la voie Héracléenne puis Domitienne au travers des Alpes, la voie d’Agrippa le long de la rive gauche du Rhône et de fort nombreuses voies secondaires les reliant, sans oublier les routes du sel des marais méditerranéens vers l’intérieur. Ces voies étaient fréquentées par les commerçants, les militaires, les voyageurs. La situation géographique, le climat rude à certaines époques, toujours plus clément dans nos contrées qu’au-delà, dirons-nous pour simplifier, en ont fait des terres plus hospitalières que rappellent les vestiges qu’on découvre toujours en Vaunage, au Marduel, dans les gorges du Gardon ou de l’Ardèche. C’est bien chez les Volques Arécomiques que les troupes de Jules César prirent leurs quartiers d’hiver pendant la guerre des Gaules.
A l’époque romaine, sous Agrippa et Auguste, les conditions d’accepter ou de tolérer une colonisation romaine semblaient réunies, la cité nîmoise en a profité. Les contextes politiques, économiques, géographiques et l’existence d’une source pérenne, abondante, située à une cote supérieure à celle des pentes des collines nîmoises, débitant une eau claire, saine et distante de quelques milles seulement de la capitale, peuvent expliquer la faisabilité du projet.
Un souci toutefois : où et comment franchir les gorges du Gardon ?
Uzès et Nîmes étant situées de part et d’autre du Gardon, cours d’eau imprévisible qu’il fallait absolument franchir au niveau de ce canyon difficile d’accès, a évidemment posé de délicats problèmes aux librator chargés de déterminer le tracé. L’étude d’un tel projet a évidemment demandé beaucoup de temps. On peut la situer sans risquer de grosses erreurs, dans la première moitié du premier siècle ap. J.-C. sous Tibère ou Caligula, donc bien des siècles après les grands aqueducs de Sennacherib ou ceux de Pergame, ce dernier se terminant par un siphon constitué de tuyaux de faible diamètre en céramique noyés dans du mortier, d’autres en manchons de pierre placés les uns à la suite des autres.
Les hydrauliciens de l’époque ne disposaient pas des formules actuelles mais ils savaient qu’un siphon « freine » » l’eau et cause des débordements en amont, si l’on ne recueille pas l’eau à un niveau inférieur, en aval. Inconvénient majeur qui aurait rendu impossible ce tracé de l’aqueduc en bordure de l’étang de Clausonne dont l’altitude est celle de la source à Uzès. Les Romains le savaient-ils avant d’entreprendre leurs travaux ?
Contourner les gorges par le nord étant impossible pour des raisons d’altimétrie, avoir recours à des siphons étant aléatoire, voire incompatible avec les lois de l’hydraulique, il ne restait que la solution d’un pont et d’un pont relativement long compte tenu de la largeur de la vallée.
Le projet du pont du Gard se dessine, mais à quelles conditions ?
A quels critères devait répondre ce pont ?
Un pont se distingue d’un mur parce qu’il repose sur des arches. Et pour traverser le Gardon il était nécessaire d’édifier un pont avec beaucoup d’arches d’une rive à l’autre et de haut en bas. Cette technique adoptée à l’époque romaine, sans connaissance particulière sur la stabilité des arches, sur leur résistance aux masses, à celle des courants, aux crues, au vent suppose de grandes compétences et beaucoup de courage à une époque où les constructeurs étaient entièrement responsables de leurs œuvres et ne disposaient que d’un appareil mathématique réduit.
A la différence des amphithéâtres du Colisée ou de celui de Nîmes construit quelques 50 années plus tard, les arches des deux premiers niveaux du pont du Gard sont d’ouvertures inégales. Ainsi, au lyrisme de Corinne Bensimon, j’ajouterai mon admiration pour la compétence de ces ɶuvriers.
Arrivé à ce point, il me serait difficile de dissocier l’ouvrage de son écrin, la vallée du Gardon.
Gorges du Gardon, pont du Gard et arches apparaissent comme les composantes indissociables d’un triplet étroitement lié à l’aqueduc de Nîmes.
La vallée du Gardon, le pont du Gard et ses arches, composantes indissociables